Hisséne Habré à l'audience à Dakar le 08 Septembre 2015
Hisséne Habré à l’audience à Dakar le 08 Septembre 2015

Que des crimes, des « crimes de guerre », des « crimes contre l’humanité » aient été commis au Tchad, entre 1982 et 1990, sous la présidence de Hisséne Habré ne fait guère de doute.

Que son régime ait commis des meurtres de masse, torturé des milliers de Tchadiens et des personnes d’autres nationalités parait établi.

L’accusation est soutenue par des milliers de témoins, 4000 nous dit-on, dont plusieurs l’ont étayé, dans la presse par des témoignages détaillés et difficilement réfutables.

Il y’a donc bien lieu d’attraire Monsieur Hisséne Habré pour qu’il réponde de ces crimes.Cependant la Justice qui ne saurait se dire à moitié, aurait été mieux servie si les accusateurs et le juge  du procès, Human Rights Watch et la Chambre Africaine Extraordinaire des Assises avaient inculpé également ceux qui ont armé l’ancien président tchadien et dont la  complicité dans ses crimes est avérée : les présidents François Mitterrand, Ronald Reagan et Idriss Déby.

Le rôle de ces personnalités dans la tragédie dont le peuple du Tchad a  été victime au cours des années 1980 est pourtant bien connu et a été largement documenté par la presse.

Les journaux français, notamment le quotidien Le Monde et le Figaro ainsi  que « l’hebdomadaire pan africain basé à Paris », Jeune Afrique et le journal américain SLATE ont publié récemment des informations détaillées à ce sujet.

Nous savons ainsi que c’est avec les encouragements de la France de Mitterrand que Hissène Habré entra en guerre dès 1980 contre le GUNT (Gouvernement d’Union Nationale du Tchad) dirigé par Goukouni Weddeye dont il était Ministre de la Défense.

C’est grâce à l’armement fourni par la France, aux renseignements de l’armée française et à l’encadrement de « spécialistes français »  que ses troupes mettent finalement en déroute celles de Goukouni Weddeye  et prennent le pouvoir à Ndjamena le 7 juin 1982.

Le Monde nous rappelle que le régime de terreur qui s’est alors installé, l’a été au vu et au su de la France dont l’opération Manta qui sera bientôt dotée de 3500 hommes travaillait en étroite collaboration avec les forces armées du Président Habré.

D’ailleurs indique le Monde « le camp français Dubut de Ndjamena se trouve à moins d’un kilomètre de « la piscine », le mouroir de l’ancien dictateur ».

Le Monde nous indique aussi que ce sont des Transal français qui ont servi au transport de prisonniers et que ce sont les agents du service français d’espionnage et de contre-espionnage (la DGSE) qui ont formé leurs homologues de la Direction de la Documentation et de la Sureté (DDS) qui seraient, selon l’accusation, responsables des arrestations, tortures et liquidations sommaires.

Le chef de cette sinistre police, un certain Guithini Korei, un neveu de Habré, est un produit de l’Ecole de Guerre de Paris apprend on !

L’implication des Etats Unis auprès d’Hisséne Habré et sa complicité dans les crimes qui sont aujourd’hui en jugement n’est pas moins établie.

Le long article publié par Slate et par Foreign Affairs éabli d’abord le contexte : Ronald Reagan qui accède à la Maison Blanche en 1980 entend restaurer l’hégémonie américaine partout dans le monde et voit en Hisséne Habré un allié pour mettre au pas Momar Kadhafi et affaiblir du coup l’Union Soviétique.

La « Task force » sur le Tchad qu’il constitue relève directement de lui-même et comprend notamment le Secrétaire d’Etat William Haig, son adjoint pour les Affaires Africaines, Chester Crocker (qui mettra en œuvre la politique de « l’engagement constructif » pour soutenir l’Apartheid), flanqué d’un James Bishop et un certain Charles Dufler comme agent de liaison de la CIA.

Une cellule de la CIA de haut niveau est mise en place à Djaména qui devient une place forte dans le dispositif américain dans la région avec Khartoum au Soudan alors dans la zone d’influence US,  l’Egypte de Anouar Sadate et la Somalie de Siad Barré.

Slate révèle comment cette Task Force a mis à la disposition de l’armée de Habré les armes les plus sophistiquées de son arsenal, les moyens de reconnaissance aériens et électroniques de dernière génération et l’assistance militaire qualifiée qui lui a permis de briser la seconde offensive de troupes de Goukouni Weddeye et de leurs alliés libyens et récupérer la Bande d’Aouzou, au prix d’une effroyable boucherie.

In fine, nous apprenons  que pour fournir ces armes et ces équipements l’administration Reagan usera déjà des  méthodes de détournements de la législation américaine et de financements occultes qui feront scandale quelques années plus tard lors de l’affaire dite Iran/ Contra (fournitures d’armes aux Iraniens pour la libération des otages américains achetés avec l’argent tiré de la vente d’armes aux contrerévolutionnaires du Nicaragua )

Se pourrait-il que les USA n’aient pas pris la mesure de la dictature Habré ?

Pas du tout !

L’article  précise même « ….la CIA et le bureau Afrique du Département d’Etat avaient armé Habré en secret et formé son service de sécurité…..malgré les échos persistants et de plus en plus alarmants d’exécutions extra judiciaires, de disparitions forcées et de conditions inhumaines de détention perpétrées par le régime Habré… »

Et de citer l’ambassadeur américain Richard Bogossian : «Il y avait des récits de milliers de personnes détenues dans des conditions innommables en prison, juste de l’autre côté de la rue des locaux de la mission AID» (USAID)

En fait les USA voyaient en Habré un élément essentiel dans la nouvelle stratégie alliant  « guerre contre le terrorisme »  et contre « l’influence communiste » que Reagan entendait déployer dans le monde entier.

Les Américains entretenaient une base secrète non loin de Ndjamena pour la formation d’une colonne de commandos libyens devant infiltrer les forces de Kadhafi.

Le Président américain voyait même Habré comme un héros mythique, digne d’une super production hollywoodienne, « le guerrier du désert ».

Il insistera pour le recevoir le 19 juin 1987 à la Maison Blanche avec tous les honneurs.

Devant la menace des troupes de Déby, Washington qui semble avoir été pris de court envisagera d’ailleurs un moment d’envoyer des renforts conséquents pour maintenir son allié au pouvoir.

Puis se rendant compte de l’impossibilité de l’opération,  la CIA  l’exfiltrera avec ses proches, sa Mercedes et son trésor de guerre sur Yaoundé.

De là, les Français entreront en scène.

François Mitterrand organisera avec Abdou Diouf son transfèrement sur Dakar

Quant au rôle d’Idriss Déby dans la tragédie qui est en jugement, pour beaucoup d’analystes, il s’inscrit dans le système de répression d’Hissène Habré.

Le Monde indique qu’avant d’entrer en rébellion en 1989 contre Hissène Habré, l’actuel président tchadien était au cœur du dispositif sécuritaire du dictateur. En 1984, lors de la répression dans le sud du pays contre les comités d’autodéfense (les Codos), épisode connue sous le nom de « Septembre noir », il occupait la fonction de chef d’état-major de l’armée.

Le quotidien français rappelle qu’il avait reconnu alors, dans un entretien au Figaro, qu’il appliquait « une justice expéditive et exemplaire ».

Dès lors on doit au moins évoquer la complicité-si ce n’est plus- de la France de François Mitterrand, des USA de Ronald Reagan et de celle individuelle de Monsieur Idriss Déby avec Hisséne Habré dans les « crimes de guerre », les « crimes contre l’humanité » que les Chambres Africaines de Justice sont en train d’instruire.

Soyons réalistes cependant : la justice internationale est la justice des maitres de ce monde !

On se souvient que Bruxelles avait dû amender sa loi à compétence universelle à la suite des menaces américaines et israéliennes pour avoir eu l’outrecuidance d’inculper Ariel Sharon et George Bush père.

La Justice Internationale est bien la Justice des puissants qui jugent leurs sbires trop zélés ce qui leur permet de se continuer à se présenter comme des parangons des droits de l’homme et des champions de la liberté des peuples !

En 1966, le philosophe britannique Sir Bertrand Russell créa en compagnie de son collègue français Jean Paul Sartre et d’autres intellectuels, un tribunal indépendant, non étatique, le Tribunal Russell, qui aura eu le mérite de révéler pour la première fois à l’opinion mondiale, les graves crimes de guerre dont l’armée américaine se rendait coupable envers les populations du Vietnam.

Le Tribunal Russell a sans aucun doute péché, par aveuglement idéologique, en refusant de considérer les accusations contre l’autre camp.

Cependant ce Tribunal aura contribué de manière décisive à instruire l’opinion publique à travers le monde sur la véritable nature et les causes réelles des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Les juges de Hissène Habré sont-ils réellement intéressés à édifier de la même manière l’opinion au Tchad et en Afrique sur les véritables causes de la  tragédie que le peuple du Tchad a enduré de 1980 à 1992, pour qu’elle ne se reproduise plus jamais, nulle part ?

Alymana Bathily

4 septembre 2015